15.1.05

Jean Edouard décolle du Taxiway

Il fait froid, à Bordeaux, en ce premier janvier, mais le temps est superbe… Jean Edouard a passé une bonne soirée de réveillon… Rentré à 4 heures du matin, il a dormi une partie de la journée et se trouve en pleine forme pour rentrer à Limoges. Arrivé la veille, le contrôle sol lui avait attribué un stand à proximité de l’aérogare aviation légère. Une petite visite prévol… apparemment tout va bien, il enlève les flammes, et le voilà à bord… Il y fait meilleur que dehors… Quelques injections… contact… un, deux, trois quatre tours… F-HM démarre assez facilement étant donnée la température extérieure.. Jean Edouard contacte le sol pour demander le roulage… On lui répond qu’il doit effectuer ses essais moteur avant de quitter le parking… Jean Edouard a noté sur l’Atis que la piste 05 est en service… 1800tr, magnétos, réchauffe, ralenti, recalage gyro, radios… Prêt au roulage, il re-contacte le sol… … la contrôleuse lui dit de rouler pour la 23 et de rappeler au point d’arrêt Alpha… Il cherche sur sa carte où se trouve Alpha… A l’extrémité de la piste, bien sûr …Jean Edouard se dit que le panneautage n’est pas si évident que cela. En suivant les indications « 23 », il tombe sur le point ad hoc… Il était juste à côté… Il comprend alors que ce changement de piste avait pour objectif de lui raccourcir le roulage.

Le moteur chauffe lentement malgré le roulage un peu long… La température décolle enfin…….

« - Bordeaux sol, F-HM au point d’arrêt 23

- F-HM, contactez la Tour 118.27, au revoir »

Jean Edouard change de fréquence…

« - Bordeaux Tour, F-HM, bonjour

- F-HM, la Tour bonjour, alignez vous, autorisé au décollage 23, rappelez sortie de CTR

- Vous me confirmez ou se trouve le seuil de piste 23, je n’ai pas visuel

- Juste devant vous, Monsieur

- F-HM, roger, on s’aligne et on décolle 23 »

Jean Edouard jette un œil au gyro…il indique 300°… il le règle rapidement sur 230…en trouvant qu’il s’est beaucoup déréglé depuis le parking…

Jean Edouard se dit que le seuil n’est pas franchement visible, il lâche le frein, pousse sur la manette des gaz… HM accélère régulièrement.. 2200 tr, tout va bien… Il note que la piste 23 n’est pas très large pour un terrain comme Bordeaux… sans doute la secondaire pour les avions légers…80…85… le bout de piste semble bien proche…100… et ce parking sur la gauche, Jean Edouard pense qu’il est bien près de la piste…110… légère pression sur le manche… Décollage.. les arbres en bout de piste semblent bien hauts… mais ça passe facilement…300 pieds, la pompe… un coup d’œil au GPS, mise de cap au 040… Tout va bien….

Tout va bien ?…. Ce n’est pas exactement ce que pense le contrôleur de la Tour qui vient de voir avec stupeur le DR400 F-HM décoller sur le taxiway Alpha perpendiculaire à la piste 23…

Peut-être que si Jean Edouard avait appliqué la check-list « aligné »…. Il aurait vérifié le conservateur de cap et le compas…avec le QFU…et se serait aperçu que quelque chose n’allait pas…

Peut-être que s’il avait dit au contrôleur qu’il ne voyait pas de seuil de piste devant lui, ce dernier lui aurait dit de jeter un œil sur sa gauche…

Le contrôleur, sans voix, ne peut s’empêcher de penser que l’accident de Milan ayant fait 110 morts à l’automne 2001 s’était déroulé dans ces mêmes circonstances… Bien que ne le connaissant pas, il se dit que le pilote de cet avion léger avait eu beaucoup de chance…Dassault ne travaillait pas le 1er janvier, sinon…

Jean Edouard a fait ce jour-là le plus mauvais vol de sa « carrière »…et certainement le plus dangereux… Une heure de silence à ruminer… Que s’est-il passé ?… Pourquoi ?…

Peut-être que si Jean Edouard avait vérifié son conservateur de cap et son compas, une fois « aligné », il aurait détecté que quelque chose clochait…

Peut-être, peut-être, peut-être…..facile à dire…à posteriori…unique certitude : il n’y a pas vol sans risque d’erreur.. seule une rigueur sans faille aurait pu éviter l’enchaînement de petites négligences, à tous niveaux, qui a conduit à cette grosse c… Par bonheur, Jean Edouard fait partie des veinards qui, après quelques nuits de réflexion, ont pu débriefer leurs exploits au bar de l’escadrille… il a juré qu’on ne l’y reprendrait plus…

L’inexorable enchaînement d’imprécisions négligeables à titre individuelles (fatigue du pilote, contrôleur qui pour rendre service et raccourcir le roulage donne un QFU différent de celui de l’ATIS, position du seuil de piste mal identifiée par le pilote qui a reçu une information pouvant prêter à confusion, mauvaise compréhension de l’utilité du « vérification gyro » de la check list aligné, …) aurait pu conduire à la catastrophe, non seulement lors du décollage, mais également pendant toute la suite du vol, car l’esprit de Jean Edouard était en partie occupé par ce problème…

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